Journal d’Irene Carrizo, quatrième partie

Trentième cycle

Déjà un mois que je vit officiellement sous terre.

L’occasion de faire le bilan de mon adaptation à cet environnement.

Bien que je me sois finalement bien habituée à la pression et à la chaleur constante, je dois bien avouer que l’air moite, dà» à l’importante quantité d’humidité a de gros inconvénients.

Cette humidité, propre à ces zones appartenant à La Ceinture d’Eden, s’accumule en grande quantité sur les parois et plafonds des cavernes. A la moindre secousse tellurique toute l’eau retombe sous la forme de violentes averses. Ces «pluies» ont lieu au moins une fois par semaine et durent une trentaine de minutes. Cela suffit pour former une espèce de marécage autour de notre colonie, très incommodant pour poursuivre nos travaux…

Ce climat tropical rend la flore extrêmement vivace et quelque peu envahissante. Racines, plantes, lianes et mousses repoussent à une vitesse hallucinante, ce qui fait que nos aménagement doivent être répétés inlassablement.

Il n’y a pas que les plantes qui bénéficient d’une vitalité extraordinaire ici. La faune se fait bien remarquer également. Les chants d’oiseaux et les crissements d’insectes retentissent sans cesse, leurs échos rebondissant sur les parois des cavernes. Bref, cet endroit ne dort jamais !

Comme je vous l’ai déjà expliqué il n’y a évidemment pas de nuit. La caverne est constamment plongée dans une sorte d’aube rougeoyante (dà» à la forte activité magmatique de l’ouest). Cette lumière donne l’impression d’un coucher de soleil permanent. C’est assurément très romantique mais le bleu du ciel me manque, tout comme l’obscurité réelle…

Ah ! Que ne donnerais-je pas pour une nuit noire, fraîche et silencieuse !

Trente-quatrième cycle

La vie s’organisant, un besoin de plus en plus grand d’eau s’est fait sentir. Pour palier cela, le conseil a ordonné l’installation d’un canal. Grâce à cette infrastructure notre source d’eau pure s’écoule à travers notre prairie, et sa distance est passée de 4 à 1km du cœur de colonie!

Les réapprovisionnements ne représentent plus des expédition à elles seules. Les choses vont vraiment avancer !

Un nouveau bâtiment a également été installé, des lits et le nécessaire médical y sont entreposés. Un véritable petit dispensaire est désormais à notre disposition. De quoi appréhender les dangers qui nous entourent plus sereinement.

Kotsis Yannopoulos, de son côté, semble ne jamais dormir. Isolé dans son atelier à ciel ouvert, logeant dans une simple tente, l’inventeur donne toute son énergie à sa création. Esmeralda s’applique rigoureusement à faire office de tutrice pour éviter toute nouvelle catastrophe.

Il a bâti un impressionnant four à pierre dans lequel il peut pénétrer équipé de son prototype de scaphandre… Ce Kotsis a beau avoir des défauts, il a bien du courage… si ce n’est de la folie.

Quarante-et-unième cycle

Aujourd’hui, une preuve de plus que notre mission n’aura pas fait naître que des théories scientifiques. La colonie est aussi une aventure humaine. Aujourd’hui, deux colons se sont unis dans le mariage !

Les mariés sont Leopold, un militaire venant du club Arcadia de Berlin, et Eudora de l’Empire Britannique. Une preuve, s’il en était besoin, que les valeurs de notre belle fondation Arcadia vont au-delà des frontières. Leopold et Eudora ont commencés à se fréquenter lors du voyage maritime en direction de l’Éthiopie. Les sacrements du mariages sont importants pour eux et ils ont expliqués à Marie-Elisabeth Hopkins qu’ils ne souhaitaient pas attendre leur retour à la surface (nul ne sait si ce jour aura lieu, la mort d’Abraham nous l’a tristement rappelé…).

Marie-Elisabeth a donc fait office de prêtre aujourd’hui pour les unir.

Quarante-neuvième cycle

Aujourd’hui, après le dîner, Guillaume, un érudit, s’est entretenu avec Marie-Elisabeth et Charles.

Une discussion animée eu lieu, et s’est poursuivie lors du dîner. Je me suis tenue à l’écart mais il semblerait que ce Guillaume Foucher remette en cause la politique du conseil. Sà»rement n’a t-il toujours pas encaissé la faveur faite à Kotsis Yannopoulos.

Ce Guillaume, suivi par un petit groupe d’admirateurs, réclame des élections. Le conseil s’est montré catégorique, ils ont été choisis par les hautes strates d’Arcadia pour diriger cette colonie et cela ne changera pas. J’espère que ces tensions ne déboucheront pas sur des dissensions au sein du groupe, l’entente est primordiale si nous voulons continuer à progresser.

Cinquantième cycle

Marie-Elisabeth est partie en direction du nord-est pour faire du repérage concernant les terres au delà du fleuve de lave. Le conseil s’interroge sur la nécessité d’explorer ces terres avant d’avoir terminé le scaphandre anti-chaleur de Kotsis…

Pendant ce temps, j’accompagne Charles, Leonhard et Esmeralda à la chasse aux papillons géants. Charles a pour objectif de récupérer les gaz euphorisants de ces créatures afin de fabriquer une arme incapacitante contre les éventuels prédateurs.

Masques anti-émanation sur le visage et équipés de grands filets de pêche, nous avons encerclé quatre papillons. En nous rapprochant avec la plus grande discrétion possible les insectes furent capturer sans aucun mal. Charles les a laissé derrière le dispensaire pour les étudier plus tard.

Marie-Elisabeth Hopkins est rentrée ! Elle a pu nous décrire un peu plus précisément ce qui se trouve de l’autre côté du fleuve de lave. C’est une terre de cendres et de roches noires d’où émerge ponctuellement de petits geysers de lave (pas plus d’un mètre de hauteur).

Deux sortes de créatures ont pu être observées, toutes deux insectoïdes et de couleur noire. La première est d’un gabarit identique aux écrevisses géantes de l’ouest, elles sont rapides et ont l’allure de fourmis. La seconde est une sorte de gros scarabée, ils doivent peser dans les 200kg et se déplacent lentement en troupeau d’une quinzaine d’individus.

Cinquantième-et-unième cycle

J’ai remarqué (et je ne suis pas la seule, ça jase dans la colonie…) que monsieur Leonhard Neufchatel passe de plus en plus de temps seul… loin du cœur de colonie… avant de revenir tard, quelques heures avant le couvre feu.

On ne sait pas vraiment ce qu’il trafique, et il refuse formellement d’en parler en détail. Il explique simplement qu’il dessine quelques croquis des environs. Mais pourquoi à l’abri des regards ? S’isoler en ces terres, même dans des territoires déjà balisés, est un risque énorme !

Tenez par exemple, Marie-Elisabeth nous a confessé que lors de son escapade d’hier elle a été prise en chasse par une araignée géante survivante ! Acculée dans une cavité de la paroi nord, elle a manquée de se faire mordre. Ce n’est que grâce à son courage et à son revolver qu’elle pu rentrer saine et sauve.

Aujourd’hui, Eva Nutter et son équipe de techniciens ont trouvés l’endroit idéal pour bâtir un pont de l’autre côté du fleuve de lave. Il s’agit de la zone la plus étroite (moins de 15 mètres de large), à l’intérieur d’un bois de racines noueuses.

Voici trois jours que Harry Mjolnir a réunie son équipe scientifique pour étudier les glyphes du Télamon découvert dans la caverne de l’ouest. Jusqu’à présent cet étrange alphabet n’a rien su nous révéler de plus.

Cinquante-troisième cycle

L’équipe de madame Nutter a terminé le pont !

La grande structure plate de rondins s’est couchée en travers du fleuve de lave devant le regard solennel de l’équipe expéditionnaire. Sous nos pieds 50m nous sépare de roche en fusion. C’est un moment important de l’histoire de la colonie, notre population gagne du terrain et continue d’avancer malgré l’environnement hostile.

La chaleur est réellement étouffante. J’en viens à regretter notre cuvette humide et ses ragondins à l’odeur difficile… Au loin, les scarabées géants semblent brouter. Mais brouter quoi exactement ? Cette terre n’est que roches et cendres à perte de vue.

Cela fait une heure que l’on marche mais j’ai l’impression qu’il s’agit d’une journée. Nous avons atteint la paroi est. Ici le sol se recouvre d’une mousse rêche et brune. Quelques espèces de gros navets pourpres y poussent. Au sud nous apercevons les flancs du volcan noir en activité qui semble alimenter le fleuve de lave. Au nord le relief s’élève en une pente raide flanquée de parois rejoignant le plafond.

Enfin parvenus au sommet de cette côte. Il semble qu’elle fasse le lien vers une autre caverne ! C’est incroyable, il fait si frais ici. Alors que 50 mètres plus bas il fait une chaleur digne des enfers et que tout baigne dans une lueur rougeoyante, ici l’air est frais comme dans une cave et une lumière bleutée nous parvient depuis l’autre bout de la large galerie qui se présente à nous.

Je m’attendais à bien des choses mais pas à ça. C’est une véritable mer d’eau cristalline qui s’étend ici à perte de vue. La paroi se perd au loin et il est difficile de déterminer si l’étendue d’eau que nous contemplons est un océan, une mer ou un lac. Son relief, comparable à un miroir, n’est troublé que par les gigantesques stalagmites et colonnes qui en émergent. Certaines brisées forment des îles couvertes de mousses et d’algues. Sous nos pieds la roche nue et fraîche est la plus belle des récompenses que l’on pouvait espérer. La lumière bleue qui nous entoure provient de cristaux luminescents incrustés dans les parois et le plafond. L’eau semble tout ce qu’il y a de plus pure et potable.

Je veux bien boire de cette eau mais je ne m’y baignerait pas ! Charles vient de lancer l’un des navets cueillis un peu plus tôt afin d’étudier la réaction de la faune marine.

A peine le bulbe eut-il touché la surface de l’eau, que trois gros poissons accoururent pour tenter de le dévorer de leurs dents acérées. La chaire ne parut pas à leur goà»t, mais que ce serait-il passé si c’eut été mes pieds endoloris en quête de fraîcheur ?

Une chose est sure désormais. Si nous voulons traverser cette caverne, la colonie aura besoin d’une embarcation robuste !